Stratégie d'entreprise - Donald L. Sull, professeur et directeur de l’éducation à la London Business School, et Alejandro Ruelas-Gossi, professeur de stratégie et directeur académique du EMBA de UCLA, sont auteurs d’une théorie : celle de la stratégie d’orchestration. Prometteuse, elle montre comment des entreprises émergentes réussissent en réfléchissant autrement et donne un nouvel angle de vue au pilotage des entreprises. Cet article est basé sur deux de leurs publications dans la Harvard Business Review, et dans la Business Strategy Review. Nous verrons comment la stratégie d’orchestration permet de saisir de nouvelles opportunités et de créer un écosystème valorisé en répondant précisément au besoin du consommateur, redessinant complètement le périmètre de la concurrence.
Nous sommes à un tournant. Que ce soit dans nos modes de communication, nos mentalités ou modes de travail. Nos rendez-vous se font désormais en visio, nos manières de penser le monde et son fonctionnement changent, nous nous digitalisons… En bref, nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère et nos entreprises aussi. Les nouveaux acteurs sur le marché pensent différemment. Les entreprises émergentes mettent en place de nouvelles stratégies. Elles créent des écosystèmes complets afin de répondre le mieux possible aux besoins du consommateur. Le but n’est plus seulement de vendre un produit, mais plutôt de mettre en valeur tout un réseau de solutions.
Avant de voir comment cette nouvelle vision et ces réseaux s’articulent, voyons d’abord comment les entreprises traditionnelles fonctionnent et quelle est leur vision.
Stratégie d'entreprise classique - la chaîne de valeur :
Les entreprises d’Amérique du nord, d’Europe et du Japon s'appuient sur la même stratégie : celle de la chaîne de valeur. Une fois que l’entreprise fonctionne, que ses produits se vendent, les managers ne se posent plus qu’une question : comment améliorer le business model déjà établi ? Cette question laisse penser qu’il n’y a qu’une bonne manière de concurrencer les autres entreprises : en améliorant son business model. Cela mène tous les concurrents à s’imiter et à faire converger leur business model vers un business model homogène.
De plus, cette vision individualiste freine l’innovation et empêche de saisir de nouvelles opportunités. Ce n’est pas un processus simple à mettre en place : long et coûteux, il est souvent nécessaire de s’ouvrir à de nouveaux marchés pour innover. Les entreprises décident donc d’agir sur les sphères sur lesquelles elles ont du pouvoir. C’est-à-dire le prix et les parties prenantes (fournisseurs, transporteurs, distributeurs, salariés...). Il est plus facile d’augmenter ses gains en baissant les prix, la qualité, ou en augmentant la pression mise sur les fournisseurs, plutôt que de chercher à créer de la valeur en innovant.
Premièrement, avec du temps, cette stratégie basée sur le pouvoir pervertit la culture d’une entreprise. Ensuite, elle ne lui permet pas d’avoir un avantage concurrentiel pérenne : il est toujours facile de l’imiter.
Nouvelle stratégie d'entreprise : la stratégie d'orchestration
Aujourd’hui, sur les marchés on observe des entreprises avec un fonctionnement tout autre. Elles cherchent à mettre en avant une manière de penser différente, un nouveau modèle.
La question qu’elles se posent n’est pas comment améliorer ce qu’elles font déjà, mais plutôt comment être agiles ? L’agilité stratégique plutôt que l’amélioration de la chaîne de valeur par des stratégies classiques de différenciation, de segmentation ou de domination par les coûts.
Pour cela, elles saisissent des opportunités, elles remplissent des vides dans les marchés, en créant des écosystèmes complets, non pas dans le but de se ressembler, d’être plus rapides ou “mieux”, mais pour répondre aux besoins du marché. Ce système et cette manière de piloter les entreprises sont bien plus intéressants que les systèmes classiques… En tout cas c’est ce que avancent Alejandro Ruelas-Gossi et Donald N. Sull, auteurs de l’article Strategy Orchestration publié dans la Harvard Business Revue Americà Latina.
Mais cette stratégie d’orchestration, c’est quoi exactement ?
Le principe est de créer un réseau de nœuds qui contrôlent des ressources pertinentes, afin de remplir un vide existant dans le marché ; puis de coordonner ces nœuds pour fournir une combinaison parfaite, qui répondra à la demande du prospect.
Plus concrètement, si on prend l’exemple avancé par Alejandro Ruelas-Gossi et Donald N. Sull, celui de l’entreprise JLT (Jardine Lloyd Thompson), cette firme britannique de conseil et de courtage en assurance a essayé d’entrer sur les marchés émergents du Pérou. Pour cela, ils ont analysé le contexte du pays et se sont rendus compte de plusieurs choses :
- Le gouvernement était embêté par sa flotte de taxis vieillissante, dangereuse (accidents) et très polluante,
- le pays avait des stocks de gaz naturel peu utilisés.
Ils ont directement fait le lien et ont souhaité saisir l’opportunité. Pour cela, il fallait convaincre les conducteurs de taxi d’acheter de nouveaux véhicules roulant au gaz naturel, afin de leur vendre des assurances pour voitures. Très bonne idée, mais les banques refusaient de prêter des fonds aux conducteurs, qui étaient dans des situations financières médiocres. Sans demande, les stations essence refusaient de vendre du gaz naturel et les vendeurs de voitures, de vendre des voitures conduisant au gaz naturel.
Plutôt que d’abandonner, JLT Peru a réussi à trouver un moyen de contourner ce cycle : en créant un réseau. Aux paquets d’assurances qu’ils vendaient aux conducteurs, ils ont ajouté l’assurance hypothécaire et accepté de se porter garants pour le prêt des conducteurs auprès des banques. Celles-ci ont donc autorisé les emprunts aux conducteurs. Voyant la demande augmenter, les vendeurs de voitures ont accepté de vendre des voitures au gaz naturel et les stations essence ont introduit le gaz naturel. Tout le réseau s’est mis en marche et chaque partie a pu en tirer profit.
Un nouveau langage
La stratégie d’orchestration, c’est un nouveau langage. Contrairement aux stratégies classiques qui sont égocentrées et poussent les entreprises à être individualistes, nous sommes face à une approche allocentrée. Elle permet de saisir des opportunités saisissables uniquement par des “networks” (réseaux). Ainsi, elle demande la mise en place de tout un écosystème.
On a la stratégie de la chaîne de valeur, plus facile et rapide à mettre en place car elle demande moins d’efforts et des ressources plus faciles à trouver. Mais facilement remise en cause, elle n'est pas immuable et n'écarte pas le risque d'imitation.
La nouvelle vision de l’orchestration fonctionne avec des ressources tangibles (réseaux de distribution, machines, biens immobiliers) et intangibles (technologie, marque, expertise). Ainsi que des nœuds correspondants à des entreprises, des centres de profits, ou des particuliers. L’orchestration, c'est le fait de coordonner ces nœuds, pour répondre à un vide dans le marché. Ce genre de stratégie laisse peu de place à un concurrent pour recréer le même réseau, qui plus est, déjà existant, donc inutile à recréer !
Nouvelle vision, nouvel angle de vue
Cette nouvelle vision s’inscrit dans un changement des mentalités. Aujourd’hui on ne cherche plus simplement à faire du profit, mais à créer des schémas de production solides et voués à perdurer ; non pas à recréer des produits similaires à ceux des concurrents, en espérant à tout prix gagner leurs parts de marché grâce à un plus gros budget marketing.
Le but du jeu n’est plus de faire un maximum de profit en détenant le contrôle, mais de créer un marché pour toutes les parties et que tout le monde tire son épingle du jeu. Y compris le consommateur ; en marketing on utilise des termes comme “exploiter”, “pénétrer” ou “presser”. Le but aujourd’hui n’est plus de manipuler le consommateur mais de lui servir un produit qui correspond parfaitement à son besoin et donc vers lequel il se tournera naturellement.
Nous sommes face à de profonds changements et cette nouvelle stratégie allocentrée, s'inscrit parfaitement dans une vision inclusive.
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Sources :